Difficile de déterminer la dernière fois qu'elle s'est rendue ici pour assister à une cérémonie. Probablement à l'occasion de l'union d'un membre de sa famille élargie, il y a quelques années de cela. Suffisamment longtemps, en tout cas, pour que le souvenir devienne une image diffuse, dépourvue de mouvement, semblable à une photo oubliée sur une étagère. Le genre de cliché générique que chaque famille doit posséder dans son logement, toujours affublé des mêmes composantes sur lesquelles on applique des visages familiers pour en faire un souvenir universel.

À cette pensée, une moue vient assombrir ses traits déjà maussades. Tout ça ne lui serait pas venu à l'esprit quelques heures auparavant, lorsque ses collègues et elle ont passé en revue toutes les installations de la pièce pour sécuriser l'intervention de l'équipe chargée du nettoyage des fenêtres, programmée pour le lendemain. L'avantage d'avoir les mains occupées, sans nul doute.

Les oreilles aussi, songe-t-elle en prenant conscience du silence qui l'enveloppe. Elle fait craquer ses phalanges pour donner le change et se met en mouvement. L'outil oublié par son collègue ne va pas se trouver de lui-même. Si tant est qu'il existe. Ce type de tâches ingrates sont habituellement confiées aux derniers arrivés dans l'équipe, il ne serait donc pas surprenant que cela serve de prétexte à une plaisanterie n'amusant que ceux qui l'ont imaginée.

Un faible soupir lui échappe. Elle entreprend de chercher l'objet dans la pièce, perdant peu à peu la certitude de sa nature au fil du temps. Les sourcils commencent à se froncer, les mouvements deviennent agacés, mais elle refuse de donner à ses collègues la satisfaction de recevoir la moindre question de sa part sur leur COM.

Sa fouille extensive des lieux finit par la mener devant une porte. Impossible, toutefois, de se souvenir si elle était ouverte quand ses collègues étaient encore présents. Sans y réfléchir plus que ça, elle saisit la poignée et l'actionne. Sans succès. Le bruit de gorge frustré qui allait lui échapper n'a pas le temps d'aboutir que son corps se fige instantanément en entendant quelqu'un bouger. Ou bien s'approcher ? Difficile de savoir si cela vient de l'autre côté de la porte ou non. Tout ce qui lui importe en cet instant, c'est que si l'on doit la surprendre là où elle ne devrait pas être, pourvu que ce ne soit pas par quelqu'un de trop important. Pourvu qu'elle n'ait pas à justifier de sa présence avec l'excuse ridicule mais véridique qui l'a menée ici.

Une voix vient briser le silence. De l'autre côté de cette porte – elle en est certaine cette fois-ci – une femme s'exprime à l'aveugle. Son intonation tremblante n'échappe pas à Claire qui en reste saisie une fraction de seconde, oubliant par là ce qu'elle s'était préparée à dire.

Euh, je ...

Un brillant propos qui reste en suspens, couvert par la voix de l'inconnue. Fort heureusement pour elle, Claire a de bons réflexes, et aussitôt que l'avertissement est posé, elle fait un pas empressé vers l'arrière. La porte s'ouvre à la volée, et elle sent sur le bout de son nez le déplacement d'air ainsi provoqué.

Après un bref clignement d'yeux, elle semble reprendre conscience de la situation et articule avec automatisme :

Je suis désolée, je ne voulais pas vous faire peur.

Le genre de phrase tristement banale et passe-partout que tout le monde adresse à tout le monde sans vraiment se soucier d'être sincère, simplement parce que c'est comme ça.

Néanmoins, quelque chose l'interpelle chez cette femme, bien qu'elle ne saurait pas mettre le doigt dessus. La moindre tentative de verbaliser ce sentiment se retrouve bien vite reléguée sous le tapis par son esprit logique, qui préfère s'attacher aux signes de fatigue visibles sur l'inconnue afin de régler la question.

L'hésitation s'empare d'elle, vient modifier légèrement sa posture, avant qu'elle ne décide finalement de dévier du script qui voudrait qu'elle explique la raison de sa présence, que la femme retourne à ses occupations, et que tout s'arrête là. Une belle interaction lisse et efficace entre travailleur numéro un et travailleur numéro deux.

Vous ... Vous allez bien ? finit-elle par se risquer à balbutier.

Et immédiatement, le regret. Elle se sent beaucoup trop visible et déplore le moment où il n'y avait qu'elle dans la pièce.