La vie d’Eva avait toujours été réglée comme du papier à musique. Il n’y avait eu que deux événements qui étaient venu chambouler son univers tout entier. Le premier était le jour de son affectation – le jour où ses rêves s’étaient effondrés – et le second, le jour où elle avait appris que Sara avait été tué – le jour où elle avait appris un nouveau mot, « meurtre », qu’elle aurait préféré n’avoir jamais dans son vocabulaire.

Presque deux mois. Deux mois que les journées se succédaient, semblables à toutes les autres qu’elle avait connu jusqu’à lors. Deux mois que la communauté continuait de vivre comme si rien ne s’était passé. Deux mois qu’elle se levait la boule au ventre, les nerfs en pelotes et les mains tremblantes. Deux mois qu’elle se renfermait sur elle-même, par crainte de laisser échapper un mot, une émotion, n’importe quoi, qui pourrait trahir le secret qu’elle gardait précieusement.

Alors Eva se taisait. Eva se tassait. Ses sourires se teintaient d’amertume, elle devait feindre une joie qu’elle n’éprouvait plus, masquer tous les signes de l’angoisse qui l’étreignait perpétuellement depuis cet instant. Sara n’était plus. Mais le Bâtiment, lui, devait résister.

La vie d’Eva avait toujours été réglée comme du papier à musique. Aussi, comme tous les premiers mercredis du mois, elle avait réservé sa place à la cafétéria pour déjeuner avec une amie. Son plateau était devant elle mais elle l’observait sans grand appétit. Elle était en retard. Et ça ne lui ressemblait pas. Ses neurones se mirent en branle. Imaginant tous les scénarios possibles, du plus banal au plus affreux. Eva sentit la panique l’envahir et son cœur se mettre à battre plus vite. Un rien la stressait désormais. Apercevant une chevelure auburn au loin, elle tenta d’héler la jeune femme en se redressant et voulu lever le bras.

Ce faisant, son coude percuta le plateau de la personne qui passait juste derrière elle. Eva se retourna immédiatement, confuse et adressa ses excuses, priant pour qu’elle n’ait pas tout renversé.

« Oh bon sang, quelle maladroite, je suis désolée ! Est-ce que ça va ? »