Un 27 février, au soir...
Ft ???

Putain. Mais putain de merde de chiotte. Qu'est ce qui t’a pris, Mork, en fait ? Pourquoi tu peux pas juste faire comme tout le monde, rentrer chez toi, te reposer, manger, boire un verre et dormir ? Ou sortir au pire, hein. Tu aurais pu aller te changer les idées dans un bar, sans faire chier personne. Mais non, bien sûr que non ! Toi, tu as préféré te dire “gnagnagna, je veux être au calme, aller là où personne va me casser les burnes”. Et voilà, tu as réussi ton coup, un peu trop bien même, vu la situation dans laquelle tu es depuis plus d’une heure.

Le sous-sol. C'est là bas que tu t'es dit que tu allais aller souffler. Au calme, dans le silence, là où y’a presque personne qui se trouve. Tu l’avais déjà fait avant… tout ce qui t’es arrivé. Et t’avais plutôt apprécié l’ambiance des lieux, le fait de pouvoir juste… être avec toi-même. Du coup, sur le coup, après que le travail se soit terminé, tu t’es dit que c'était une bonne idée pour souffler. Parce que, vraiment, tu détestes ton nouveau taff et que ça te ronge… du coup, t’as pris la direction des escaliers qui descendent au sous-sol.

Avec une jambe en morceaux.
En pleine crise de rhumatismes à cause du temps humide, même à l'intérieur du bâtiment.
Pour faire une balade à pied, sans canne.
Sans prévenir personne d’où tu allais

Vous le sentez le truc arriver ?

Tu as failli te ramasser dans les escaliers quand ta jambe a lâché sous ton poids. Ça t’a fichu une grosse terrible, mon vieux, tellement que tu as arrêté de remonter l’escalier d’un coup. Et bien entendu, après avoir crapahuté un moment en bas en douillant de plus en plus, et t'être à moitié tordu la patte en remontant et bah maintenant, mon petit père, t’es coincé dans les escaliers. T'as plus la force de monter. Trop de fierté pour appeler a l’aide. Pas assez d'énergie pour te tracter juste a la force de tes bras. T’es juste là, a regarder vers le haut en lâchant des chapelets de jurons de plus en plus grossiers.

Franchement, t’es en train d’envisager de passer la nuit là au fond de toi. Et tu stresses déjà des on-dit que ça va encore rajouter sur ton dos.

Putain de merde, voilà.

ft @Livreur (A.)

« Putain de merde ! Pis forcément, ça devait me tomber dessus ! Pourquoi ca devait me tomber dessus ? Bordel de cul ! Ca me fait chier, putain de… »

Tu sursautes, d’un coup, alors que ton corps se retourne d’un coup, habitué par des années d’entrainements à devoir un jour agir pour la sécurité des autres et la tienne. T’as encore la bouche ouverte, prêt à engueuler la personne qui t’as ainsi surpris, à lui dire de t’aider à remonter et à lui rappeler qu’on prévient quand on arrive dans le dos de quelqu’un mais tes yeux tombent sur ce masque blanc et… Tu avales maladroitement ta salive.

C’est quoi ce bordel ? C’est qui ce type qui traine dans les escaliers de l’immeuble avec cette tronche ? Ta gorge se serre, alors que tu te rends compte que le silence, pourtant si chéri, se met à t’ettoufer à moitié et qui est ce type. Il n’a pas à être là. Il ne dit rien. Toi non plus. Pendant les secondes qui suivent, tu ne fais que regarder ce masque vide, les yeux arrondis, le visage clairement ouvert sur de l’angoisse avant de ravaler ta peur d’un coup, pour grogner en t’écartant d’un pas du type.

« Qu’est-ce que vous faites là ? Les livreurs sont pas censés entrer non ? Que tu claques, comme un chien qui abois. Qu’est-ce que vous m’voulez ?! C’est en changeant le poids de ta jambe saine à celle qui te fait souffrir le martyre que tu te souviens de ce qu’il se passait juste avant qu’il arrive. Vous voulez m’aider ? »

T’es bien trop fier pour demander clairement de l’aide. Tu préfères essayer de deviner la raison pour lequel le livreur t’a approché, c’est moins humiliant. En tout cas, tu ne le lâches plus du regard, maintenant.

ft  @Livreur (A.)

Tu respires presque un peu plus facilement quand le froid qui émane de la paume ganté s’écarte de ton dos, et ce malgré le pull que tu portes sur toi. Tes yeux ne lâchent pas l’homme (si c’en est un) qui se tient à tes côtés et vraiment, Mørk, tu ne te sens absolument pas serein en sa présence. Est-ce le masque ? La froideur ? Ou juste ce qui émane de sa silhouette que tu n’arrives pas à jauger ? T’en sais rien, mais ce qui te traverse, pendant une seconde, te dérange au plus haut point. Une terreur que tu refuses de ressentir au fond de toi, et qui s’efface rapidement. Tu la refoules en avalant ta salive.

« T’as pas parlé, comment j’pourrais être bouché ?! »

Ça y est… il vient de te déclencher. Tu carres les épaules en oubliant un peu la douleur qui pulse dans ta jambe. Sa voix grave est plus grave que la tienne, sa taille est plus haute que la tienne, sa carrure n’est pas pourvue d’une jambe folle. Et d’un seul coup, ca te fait grogner un peu. T’es prêt à lui dire de dégager, de te laisser tranquille, mais sa main vient se loger à nouveau sur ton dos et tu frissonnes encore.

Sauf que ses mots se font à nouveau entendre et cette fois-ci, ça te heurte brutalement. Tu claques ta langue contre ton palais, en te tendant comme un arc qui risque de casser et tu claques en réponse, avec un ton cynique vraiment pas sympa du tout.

« Bah je sais pas, que ma patte fonctionne peut-être ?! Tu lui désignes du menton ta jambe sur laquelle tu n’appuies presque aucun poids. Et toi, tu comptes me regarder comme ça longtemps ou me filer un coup de main ? »

Et putain, t’as envie de l’étriper, tout en sachant que tu n’outrepasseras jamais les lois de cet immeuble, encore plus après les avoir fait appliquer pendant des années. C’est juste que tout ça réveille ta haine contre tout et tout le monde ici. Ca acidifie ta douleur. Ca te rend con, quoi.

ft  @Livreur (A.)

Entre la douleur et le comportement de ce type face à toi, il y a de quoi te mettre dans une humeur de merde, Mørk. Une partie de toi sait que tu devrais arrêter de faire toujours retomber ça sur les gens qui t’entourent, encore plus les inconnus, mais le fait est que c’est plus fort que toi. Tu t’énnerves, et vu que t’as aucun autre moyen de faire redescendre la pression, tu gueules sur les autres. Hier c’était l’agent de sécurité qui t’avait apporté un café. Aujourd’hui c’est ce type masqué qui te regarde…

Attend, est-ce qu’il te regarde vraiment ? Tu ne vois presque rien avec son masque, tu ne sais même pas ce qu’il se cache dessous. Pendant quelques secondes, s’impose à toi l’image d’un humain sans visage, mais l’image est trop dérangeante pour que tu acceptes de la garder en tête. Tu secoues le nez, pour te reprendre, mais voilà que le livreur te prend de vitesse.

« EH ! »

Un cri, juste ça, et tu te retrouves à l’horizontal contre le torse de l’inconnu. Tes yeux s’ouvrent en grand, alors que tu rougis d’un coup. Pas comme une donzelle qu’on sauve (même si tu as l’air de ça), mais parce que tu te sens complètement mal. On ne t’a jamais fait te sentir si faible que maintenant. Et que tu voudrais gueuler, mais que ce type est tellement bizarre, que tu te dis qu’il serait bien capable d’ouvrir les bras et te laisser tomber comme une crêpe ratée sur le sol.

« Putain, mais t’es vraiment complètement bizarre. Que tu grognes, avant de croiser les bras sur ton torse, comme pour te protéger et montrer ton mécontentement même dans cette drôle de position. Rez-de-chaussé, je retourne chez moi. Que tu finis quand même par marmonner, avant de refuser de regarder ce masque expressif qui réveille des piques d’angoisses par moment. Qu’est-ce qu’un livreur fiche dans le bâtiment ? Parce que t’es un livreur nan ? Je reconnais ce genre de masque… »

Tu ne peux pas accepter que le silence s’installe, ce serait définitivement plus que ce que tu peux supporter. Muscles et articulations tendus, tu comptes les marches jusqu’à pouvoir te remettre debout et t’éloigner de cette aide bien trop étrange.

« Ca sert à quoi le masque ? »